Le visiteur qui découvre La Brigue aujourd’hui est
frappé par une certaine ambiance de « gloire fanée » qui règne dans
la moindre de ses ruelles. On comprend d’emblée que ce village engourdi a été
une agglomération prospère.
Le territoire ancestral brigasque
est extrêmement vaste, c’est une terre de frontière au patrimoine
pluriséculaire, depuis la vallée de la
Roya jusqu’au vallon de Verdeggia, il s’étire sur des sommets
et des cols qui dominent le Piémont et la Ligurie. La Brigue
ouvrait les plaines du Piémont sur la Méditerranée à une époque où la maîtrise de la
« route du sel » était fondamentale. Ici on saisit parfaitement à
quel point la montagne n’est pas une barrière, la montagne est une route. La Brigue se trouvait là, sur
un passage où circulaient les hommes, les biens et les idées dans un flux
constant au cours de tout le Moyen Age.
La première mention de La Brigue remonte à 1038. Mais,
si le mot « Briga » signifie « hauteur », on peut se
demander en découvrant le village où se trouve cette hauteur. Le premier
castrum dont il est question en 1038 ne correspond vraisemblablement pas à
l’implantation de l’agglomération actuelle qui a été formée sur la base d’un
habitat du XIIIème siècle, fortifié au cours du XIVème siècle.
La
Brigue médiévale était une communauté humaine de premier
ordre qui tirait sa prospérité de sa situation sur un nœud routier et de la
pratique de l’élevage. Face à ses seigneurs issus de la noble famille des
Lascaris, la communauté a su gagner en autonomie et se renforcer, obtenant le
droit de nommer ses consuls en 1457. Puis, avec la prospérité économique et
l’implication directe du duc de Savoie dans le fief de La Brigue au cours de la
période Moderne, on assiste à un fractionnement des droits seigneuriaux et à la
montée en puissance de familles issues des nouvelles élites locales qui font
disparaître progressivement l’autorité et l’emprise des Lascaris de La Brigue dont la branche
s’éteindra d’ailleurs à la fin du XVIII° siècle.
La visite de Chambarano et du
Borgo Rico, les deux parties du village séparées par le Ru Sec (respectivement
rive gauche et rive droite), permet de découvrir l’imposante collégiale St Martin
et ses œuvres d’art de haute qualité ainsi que les chapelles des pénitents qui
la flanquent, mais aussi l’exceptionnelle collection des linteaux brigasques
ornés et armoriés, surmontés de motifs religieux ou d’enseignes de commerçants
et d’artisans, portant des initiales et des inscriptions souvent issues de
l’Ecriture Sainte. Les lieux phares du village apportent des jalons historiques
sur la formation urbaine de La
Brigue depuis la splendide Ciassa Veïa où se tenaient les
foires jusqu’au château Lascaris en passant par les oratoires et les niches,
les fontaines et les chapelles.
A la périphérie du village le
patrimoine est aussi attrayant, le pont du coq, le four à chaux et le moulin à
grain de Cianese sur la route menant à la Madone des Fontaines. Le monument en l’honneur du
colonel Pastorelli et les traces de la présence de l’armée italienne rappellent
que La Brigue
était ville de garnison dont le patrimoine militaire conduit des forts du Barcon
de Marte aux ouvrages du Col de Sabion en passant par les casernes de
Peyrefique.
Sur le bord de l’ancienne route,
se trouve le plus connu des trésors brigasques, le sanctuaire remarquable de
Notre-Dame-des-Fontaines avec ses 220m2 de peintures murales du XVème siècle. La
situation de cette église pourrait paraître extravagante à qui ne sait qu’ici
les caravanes médiévales martelaient incessamment les pierres du chemin.
L’histoire contemporaine retient
de La Brigue
qu’elle est, avec Tende, le dernier gain territorial de la France en 1947. Ce
« rattachement » à la
France, s’il n’est mentionné dans les manuels d’histoire que
par une maigre ligne, est un point fondamental de l’histoire récente de la
communauté. Les frontières décrivent des nationalités mais ne coupent pas les
liens de l’histoire et du sang, ainsi La Brigue a été, au lendemain de la 2ème Guerre
Mondiale, séparée de ses hameaux auxquels l’histoire a donné un destin italien (Realdo,
Upega, Piaggia, Carnino inférieur et Carnino supérieur).
Ces hameaux de La Brigue étaient, à
l’origine, des lieux d’habitat temporaire liés à la pratique de l’estive. Progressivement
les populations s’y sont fixées de façon permanente permettant une exploitation
plus efficace des différents terroirs brigasques : c’est une pratique
agricole raisonnée et intégrée à la gestion d’un territoire spécifique qui
explique à bien des égards la répartition de l’habitat brigasque. Les chapelles
qui servaient à assurer la desserte pastorale des paysans pendant quelques mois
sont progressivement devenus des lieux de culte permanents.
La Brigue est un village
généreux qui offre au visiteur un patrimoine splendide, mais c’est aussi une
communauté blessée par la séparation et la perte d’une immense partie de son
territoire historique.
L’histoire de La Brigue permet de comprendre
les racines qui fondent la spécificité de ce village au carrefour de la Méditerranée et de la
plaine padane, entre la France
et l’Italie. Une communauté originale formée à travers le temps, à la fois
cajolée et blessée par le chapelet des évènements historiques. L’univers
culturel et les pratiques sociales spécifiques des Brigasques en font des gens
à part qui, bien avant l’émergence de l’idée d’une Europe unifiée, ont su vivre
à la croisée de plusieurs mondes.
Sébastien RICHARD